Le Jardin des Finzi Contini – film d’Ettore Scola, d’après le roman de Giorgio Bassani, tourné en 1970 (lion d’or à Berlin en 1971)
NB : Article en liaison avec le programme de TL (étude du Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : à vous de mettre en avant les points communs…) et de 1ère (objet d’étude « le personnage de roman et le monde »)
Une famille à part, les Finzi Contini
Le film se focalise sur les Finzi Contini, une riche famille juive, appartenant aux notables de la petite ville italienne de Ferrara. Ce sont les derniers moments d’une vie commune à la fois idyllique et menacée que Scola tourne ici, en inscrivant les personnages principaux, dont l’énigmatique Micol, au cœur de la montée en puissance du fascisme et de l’entrée en guerre du duce et de ses armées, au côté de l’Allemagne nazie.
Les Finzi Contini demeurent longtemps étrangers aux rumeurs du danger qui les cerne pourtant avec de plus en plus d’insistance tout au long du film. Ils vivent cloîtrés, dans un monde qui semble se refuser à l’extérieur, à peine toléré avec la présence des joueurs de tennis que les deux jeunes Micol et Alberto invitent à se divertir, dans une période pourtant peu propice à l’amusement, et de Giorgio, jeune homme juif lui aussi, épris de la jeune fille. Symboliquement, on passe son temps, dans le film, à ouvrir –et surtout à fermer – les portes, comme si les Finzi Contini refusaient de prêter oreille à la menace extérieure : porte de la maison, encerclée par ses murs, protections bien illusoires puisqu’il est possible sans grande peine d’escalader ces derniers ; porte-fenêtre que Micol referme sur elle et Giorgio quand, à son retour de Venise, elle reçoit le jeune homme avant de l’éconduire à nouveau, porte de la bibliothèque d’étude que le père clôt sur le même Giorgio, venu poursuivre ses recherches dans le havre de paix que représente encore la maison. Aussi bien le film multiplie-t-il les espaces clos dans lesquels les personnages se lovent, avec un effet de resserrement qui dramatise le sentiment de menace enflant peu à peu : le jardin évoqué dans le titre bien sûr ; le terrain de tennis, grillagé ; la hutte (et son ironique consonance allemande…) ; les pièces encombrées de la maison ; la calèche où Micol entraîne Giorgio avant de s’y offrir à Bruno … On se calfeutre dans un petit monde douillet, celui d’une culture un peu surannée, représentée par ces œuvres d’arts qui parsèment la maison, par cette musique qui double la clôture de la maison d’une bulle de notes confortable, par ces couvertures qui Micol accumule sur elle quand, malade, elle reçoit Giorgio.
Enfermés dans ce monde qui leur est propre, les Finzi Contini semblent refuser les évènements qui les entourent, comme si, au présent, ils préféraient une sorte d’atemporalité où leur richesse – et leur singularité –demeureraient intouchables. La famille vit dans l’Italie des poètes, pas dans celle de Mussolini : là où, dans la demeure de Giorgio, les journaux sont sans cesse présents, relayés par la radio ou les informations de propagande du cinéma, les Finzi Contini sont entourés de livres aux reliures qui semblent immémoriales. La famille semble vouloir abolir le temps et son jardin peut d’ailleurs symboliser la volonté d’un Eden, d’un lieu retiré où l’on vivrait un éternel présent d’insouciance. Scola, dans les premiers plans, qui se confondent avec le générique du film, nimbe d’ailleurs les arbres, tournés en gros plans, d’un éclat mordoré, un peu irréel, qui nous baigne en tout cas dans un espace différent et idéal. Cet espace est celui de l’abondance : chênes, ormes, palmiers, rien ne manque à une nature riche et bienfaisante.
Le refus de donner prise au passage du temps frappe surtout Micol et Alberto. C’est sur l’enfance que les deux semblent s’être arrêtés, sur ce moment de parfaite communion entre frère et sœur, deux êtres que l’éducation réservée par leurs parents a longtemps coupés du monde. Il n’est pas étonnant d’ailleurs que l’on voie Micol parcourir le livre de Cocteau, les Enfants terribles, un ouvrage excentrique, au langage précieux, qui s’offre des échappées dans le rêve et met en scène un frère et une sœur qui refusent, jusqu’à la mort, de se séparer et d’entrer dans le monde des adultes. Alberto, cloîtré dans sa chambre par la maladie, ange blond dans son peignoir blanc, semble ne pas évoluer. Micol se nourrit d’une nostalgie de l’enfance qui l’amène à revisiter en une sorte de pèlerinage continuel les lieux de son amitié avec Giorgio, comme la calèche devant laquelle elle finit par l’éconduire. Sur cette base, l’amour est bien sûr impossible : à la passion de Giorgio justement, Micol prèferera le souvenir d’une complicité enfantine, qu’elle ne veut pas ruiner par une relation plus adulte. Elle parviendra certes à s’unir à Bruno, mais c’est seulement mue par une attirance physique pour le jeune communiste, avec qui elle consommera l’acte amoureux dans la calèche de l’enfance. Micol, sans doute, se rendra compte à la toute fin de son amour pour Giorgio, mais il est bien trop tard puisqu’elle l’a humilié au point de tolérer sur son corps le chien Yor plutôt que l’amoureux malheureux…
Clôture spatiale donc, et temporelle. Les Finzi Contini s’enferment, mais jusqu’à l’étouffement. On le sent bien, la mort est rapidement à l’œuvre dans cet éden en fait bien factice que représente la propriété … et le film prend dès les premières scènes une coloration nostalgique certaine. Bien avant la mort d’Alberto, la corruption est présente : le jardin se couvre de neige, l’orage éclate et force au repli ; le chien Yor, édenté, peut symboliser un Cerbère accompagnant son Charon, dans un espace qui devient presque une figuration de l’enfer mythique. On se doute bien sûr que la famille est vouée à la déportation et à la mort et une des belles scènes finales, où Dominique Sanda – Micol serre le visage ridé de sa grand-mère, semble préfigurer le brusque retour de balancier qui touche la famille, de ce temps qui fait retour et rappelle que la mort approche.
La rumeur de la guerre
Et pourtant, si les Finzi Contini ne s’étaient montrés si aveugles, sans doute auraient-ils compris plus vite ce que la dernière scène évoque : la chute que vient symboliser la descente de l’escalier, avant l’arrivée dans l’école. Comme dans le cœur de Giorgio, l’orage menace, enfle, avant de finir par éclater. Ce sont, certes, d’abord, de petits signes : un drapeau nazi sur un vélo ; l’interdiction de fréquenter les cercles de tennis de Ferrara ; puis le rejet enfle, de moins en moins acceptable : la rue se peuple jusqu’au discours de Mussolini, filmé en plans obliques, comme si le déséquilibre et le malaise devenaient effectifs. Les lois fascistes se multiplient et affectent la communauté juive : interdiction des mariages mixtes, d’avoir un domestique de race aryenne, de fréquenter les universités. Et le pire se met en place, presque naturellement et sans résistance, même de la part du communiste Bruno, incapable de tirer à la fête foraine sur les cibles, et qui ira docilement se faire trucider sur le front russe : les juifs sont soupçonnés, arrêtés – sous couvert d’un banal contrôle d’identité…- puis séparés, triés et sans doute déportés. C’est dans une école, qui semble bien mal avoir joué son rôle de formation du citoyen, que le drame se joue finalement et que même les Finzi Contini se retrouveront : rien de bien juif pourtant chez eux ; à peine une Etoile de David qui se dessine sur la poitrine de Micol qui, avec son frère, aurait bien plutôt un physique d’aryen, d’ailleurs. C’est ainsi Helmut Berger, acteur germanique, abonné au rôle de l’Allemand dans le cinéma italien (le SS des Damnés, de Visconti) qui joue le rôle d’Alberto. On condamne les juifs seulement sur la foi d’un terme : être juif est déjà une tare en soi et point même n’est besoin d’être pratiquant pour devenir infréquentable.
Ce n’est pas pourtant que tous les Italiens (comme tous les Allemands, bien sûr), soient racistes : les pro-Mussolini existent et sont prêts à faire le coup de poing au cinéma ; les fourbes eux, préfèrent faire régner la terreur par des coups de fil anonymes. C’est juste d’une faiblesse générale que souffre le pays : un réflexe individualiste, compréhensible par ailleurs, qui amène à ne pas se mouiller pour se protéger et protéger les siens. Comme le rappelle Giorgio au recteur de l’Université, qui n’est sans doute pas fasciste virulent mais exclut l’étudiant de sa bibliothèque, « toute l’Italie a une famille », c’est-à-dire que tout le monde ferme les yeux sur des exactions qui vont, de fil en aiguille, conduire à la mort de milliers de juifs. Et on pense à cette formule de Goya : « le sommeil de la raison engendre des monstres » ; à ne pas vouloir regarder avec lucidité ce qui nous entoure, on laisse s’installer des dictateurs qui imposent des lois inhumaines…
Un jardin qui brusquement s’ouvre au réel
Pour les Finzi Contini, le réveil est brutal. Giorgio a eu le temps de fuir, mais pas la famille. Le jardin, cet espace recueilli, est envahi brusquement par les voitures des forces fascistes. C’est la fin de l’innocence, de la vie élégante et ludique : les bibelots sont renversés par les agents du pouvoir, bien maladroits dans la maison de la famille juive qui, jusqu’au bout, clamera sa singularité, cette excentricité que Micol revendique en corrigeant son prénom affadi en Nicole par le policier fasciste. L’important n’est plus là cependant…
Les Finzi Contini sont les victimes donc d’une société myope, qui, en tout cas, refuse de voir le tour sinistre que prennent les événements, mais surtout, d’un aveuglement de leur part. Scola traite d’ailleurs la pellicule de façon à filmer le monde réel avec une sorte de distance, comme s’il adoptait le point de vue de la famille qui ne voit l’extérieur que dans une sorte de flou. Les derniers plans sont particulièrement touchants : un chant juif poignant retentit en même temps que, derrière la fenêtre, la ville de Ferrara, ses bâtiments anguleux bien opposés aux courbes du jardin, se dessine, mais envahie d’une sorte de brume, presque d’une fumée qui s’échapperait déjà des cheminées d’un camp de la mort.
Salut ...Pourais tu m'aider ?!!
Je dois étudier l'importence du bal dans le Guépard, as tu des conseils ou des indications à me suggérer ?
Merci !
riienERREUR FATALE: le christianisme ne se base pas sur le culte mythologique et paien, c'est une particularité des Salina de faire la prière dans cette salle. Il s'agit donc d'une critique des dérives paiennes par rapport au droit chemin prôné par l' Eglise, ce qui renforce l'idée de particularité, de façon de vivre propre de la Sicile qui ne fait rien comme tout le monde, surtout par paresse: ici, pourquoi s'embêter à aller dans une chapelle alors qu'ona une grande salle chez nous?A part ce contre-sens minime mais gênant, ton analyse est bonne et complète, cela m'a bien aidé!!!
Bonjour à tous, je dois faire une compo sur: "justifiez le titre: Le Guépard", et à part évoquer la corpulence de Don Fabrizio, et le comportement de Bendico qui symbolise un peu le Guépard, je ne sais pas trop quoi choisir comme axes. Pourriez vous m'aider s'il vous plaît?bravo pour ce blog, moi qui était plutot légère sur le guepard , je pense faire um peu plus le poids. ça a du être du travail, bravo.Le film n'est pas d'Ettore Scola mais de Vittorio de Sica....!LE REALISATEUR EST VITTORIO DE SICA ET NON ETTORE SCOLLA Merci de rectifierle film est de Vittorio de Sica !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!un livre que je ne fais que conseiller, assez édifiant.. Chacn peut y extraire ce qu'il a envie de voir, avec recul si possible.Ce n'est pas un film d'Ettore Scola mais de VITTORIO DE SICA