Par delà son caractère d’ébauche, ne peut-on dire que l’écriture fragmentaire correspond à la pensée développée par Pascal ?
Ancienneté de l’écriture fragmentaire : les présocratiques par exemple. Un style qui a souvent été critiqué : ainsi du style bref de Sénèque : « arena sine calce ».
Pascal n’a pas l’intention d’écrire un texte fragmentaire mais c’est sous cette forme que les P nous sont transmises. Une forme critiquée dès le 17ème, même chez les jansénistes : « un grand nombre de pierres bien taillées [….], le reste ne m’a paru que des matériaux confus » (Nicole).
La mort de Pascal est-elle la seule explication de ce caractère fragmentaire des P ? (ou : Pascal aurait-il pu ou gagné à organiser les P ?)
I- « Les fragments sont la trace d’une mort » : les P ou le brouillon d’un projet plus vaste
1) Une écriture inachevée, une parole qui n’a pas été polie et reste à un état brut : « bassesse de l’homme jusqu’à se soumettre aux bêtes, jusqu’à les adorer » ; « le bec du perroquet, qu’il essuie quoiqu’il soit net » ; « Misère. Job et Salomon » ; « Deux infinis, milieu »… Autant de phrases nominales, inachevées : impression que Pascal écrit avant tout pour lui-même.
2) Des pensées qui se complètent les unes les autres, fonctionnent comme un palimpseste (ou un papier calque) : inutile de tout dire puisqu’un fragment ultérieur viendra compléter le propos. Pour bien comprendre les P, c’est alors au lecteur de mener ce travail et de superposer les fragments pour établir un texte complet. Ex : fragments sur Paul-Emile, d’abord à peine ébauché puis repris plus largement. De même avec « Cléopâtre » (fr 42) ; « il demeure au-delà de l’eau » (relativisme de la justice largement repris en 56)
3) Une écriture rapide, qui cherche à saisir la pensée au passage. Chez Pascal, un fourmillement d’idées : il faut les noter le plus vite possible avant qu’elles ne s’échappent : « Pensée échappée, je la voulais écrire ; j’écris au lieu qu’elle m’est échappé ». De là, l’impression que, parfois, pascal jette les mots sur le papier avant qu’ils ne lui échappent : « vanité, jeu, chasse, visites, comédies, fausse perpétuité du nom » ; « combien de royaumes nous ignorent » ; « Un bout de capuchon arme 25000 moines ». C’est alors au lecteur (s’il le peut !) d’essayer de compléter le blanc du texte.
II- Causes conjoncturelles : une écriture du 17ème siècle.
Difficile de dire comment Pascal aurait présenté son texte s’il n’était mort avant de l’achever. Toujours est-il que l’écriture brève est en vogue au 17ème et les P ne déparent pas avec d’autres écrits (fables, La Rochefoucault, La Bruyère). Auraient-elles été plus efficaces à être plus ordonnées ? Pas sûr…
1) Une œuvre destinée à toucher le public des « honnêtes gens ». On cherche à se rapprocher pour cela de l’idéal de la conversation, avec un style varié et bref (d’ailleurs, on laisse de côté les œuvres plus longues, comme le roman pastoral de type Astrée). Pascal lui-même s’adresse aux libertins qu’il a fréquentés et se rend compte de la nécessité de faire bref : « l’éloquence continue ennuie ». La brièveté se révèle une stratégie argumentative.
2) Ces écritures brèves prennent alors la forme des exercices de salon : le portrait mais aussi la maxime. Cette dernière forme est utilisée par Pascal (phrase brève et définitive, au présent de vérité générale). C’est que l’auteur, même s’il doute beaucoup (cf III), possède aussi des certitudes, celles qui lui sont révélées par le cœur notamment : pour ces vérités, nul besoin de les prouver (il serait d’ailleurs impossible de le faire) et donc nul besoin de s’étendre plus loin que dans l’énoncé de la phrase. Le style de Pascal atteint alors par moment le « sublime », une notion en vogue au 17ème siècle : une phrase qui frappe comme la foudre, concise et précise : « peu de choses nous consolent parce que peu de choses nous affligent » (40) ; « il n’est pas bon d’être trop libre, il n’est pas bon d’avoir toutes les nécessités » (53) ; « comme la mode fait l’agrément, aussi fait-elle la justice » (57) ; « la grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable »
3) Enfin, la brièveté est une des exigences du style classique, qui se met en place durant l’existence de Pascal. On parle aussi d’atticisme (en liaison avec la littérature de l’Attique, région d’Athènes : style de Socrate par exemple : précis, sans effets oratoires, allant directement à l’essentiel … et éminemment dense). Le style est aussi tendu chez Pascal. On peut faire l’exercice et essayer de retirer un mot d’une des pensées : on perd le sens. Ex de la fin du 112 : « il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre ». Tout est nécessaire et Pascal dit le plus dans le minimum de mots. C’est l’idéal des classiques qu’ils empruntent à Quintilien : « plura paucis complectimur »
III- Des causes intellectuelles : une écriture du discontinu pour un monde fragmentaire.
L’eût-il voulu, Pascal aurait-il pu présenter autrement son texte que sous forme fragmentaire ? Pas sûr, tant la brisure correspond à la vision du monde de l’auteur : un reste très net, ici, d’une sensibilité baroque…
1) « Une écriture de recherche, en quête d’un langage adéquat pour un objet fuyant, insaisissable » (B Parmentier). De fait, pour Pascal, le monde est en constant mouvement : « quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte » + « « tout notre fondement craque, et la terre s’ouvre jusqu’au abîme ». Le monde se craquelle, il n’est jamais le même d’un instant à l’autre. L’écriture, de même, semble s’éparpiller en une série de petits jugements.
2) De la même façon, l’homme change sans cesse. Le jugement évolue d’un pays à l’autre, mais aussi en fonction des modes, ou des « coutumes ». Le sujet qui pense est toujours mobile, y compris Pascal qui écrit son ouvrage : on pense différemment selon notre âge, selon que l’on soit dérangé ou non par une mouche, selon que l’on ait bu ou pas... Il est alors difficile d’avoir un discours globalisant et continu : le monde se morcelle et le sujet qui pense est lui-même inconstant : ne reste que le désordre (« c’est le véritable ordre, et qui marquera toujours mon objet par le désordre » : l’écriture discontinue est à l’image du monde que Pascal cherche à cerner) ;
3) Pascal, malgré sa rigueur, n’est sans doute alors pas à l’aise, dans un domaine qui dépasse la connaissance scientifique, avec l’écriture du traité, ordonnée, en accord avec un monde simple et que le langage peut circonscrire. L’écriture de Pascal, plutôt que de proposer un cheminement linéaire, a alors tendance à multiplier des formulations contradictoires, notamment quand il expose les différentes théories philosophiques qui s’opposent mais ont chacune une part de vérité … et d’erreur. L’écriture se fragmente à l’image d’une vérité qui échappe, surtout dans le domaine du droit et de la métaphysique. Pascal rejoint ici Montaigne : « nous sommes tous des lopins », « l’homme en tout et partout n’est que rapiessement et bigarrures ». On pourrait en dire autant des P.
CCL : on pourra méditer une dernière pensée pascalienne : « la vraie éloquence se moque de l’éloquence, la vraie morale se moque de la morale… Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher ».
+ l’écriture fragmentaire, qu’elle soit volontaire ou non, montre les tentions qui parcourent l’œuvre de Pascal, celle entre classicisme et baroque notamment ; entre écriture pour soi et destinée aux autres ; entre évidence et obscurité ; entre volonté de dire le monde et faiblesse du jugement; entre goût de la philosophie et rejet de l’écriture philosophique.
Bonjour,
je suis intéressé en tant qu'élève de terminale L pour que vous me prodiguiez quelques conseils en vue du sujet suivant sur Pascal :
"La fragmentation des Pensées vous parait-elle une entrave à la compréhension des liasses 2 à 8, qui explorent la condition humaine, entre misère et grandeur. Peut-on enfin parler d'esthétique des fragments comme volonté consciente de n'exposer que des pensées brèves et parcellaires au lieu d'une longue dissertation".
salut ! dans le texte de Pascal qui commence par "CE n'est point de l'esace.... et qui fini par .de la morale" ou est lecriture fragmentaire je ne la trouve pas Merci
salut ! dans le texte de Pascal qui commence par "CE n'est point de l'esace.... et qui fini par .de la morale" ou est lecriture fragmentaire je ne la trouve pas Merci
salut ! dans le texte de Pascal qui commence par "CE n'est point de l'esace.... et qui fini par .de la morale" ou est lecriture fragmentaire je ne la trouve pas Merci
Salut !ébahis de stupéfaction devant ta qualité redactionnelle ! je ne sais en quelle classe tu est ni en quelle spécialisation mais en tout cas l'analyse et l'argumentation sont vraiment un point fort dont tu devrais te servir.Quoi qu'il advienne continue ce superbe blog il est super intéressant et aide vachement pour une disserte (mieux que les corrections que me donne mon prof...).Voila salut a toi.Moise